Charles Edward Caplife
Messe en Apnée Majeure
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Messe en Apnée Majeure, ISBN: 2-915882-03-7, © 2005 FrazMitic

 

V
RECORDARE

Patience : Le Bonheur sait comment prendre attache avec l'élu. Juste s'essayer à imaginer la forme qu'il peut emprunter.

Appoggiature prédicative

57. Vie imaginaire

— Et s'il revenait ?

Martine fut surprise par la question. Ce n'était pas la première fois que son fils faisait brusquement allusion à Soloman, à un moment où elle ne s'y attendait guère. Elle fut tout de même ébranlée.

— Oublie-le, Alex, murmura-t-elle d'une voix plaintive. Il ne reviendra pas. Il est trop loin maintenant. Il est trop tard.

Elle pensait : « Ils sont trop loin. »

— Et s'il revenait quand même ? insista le garnement.

— Ah ! laisse-moi tranquille avec tes questions !... Je vais te lire une belle histoire. Puis tu feras dodo.

Alex fit celui qui n'avait rien entendu. Tandis que sa mère le bordait, il tira la couverture jusqu'au niveau de son menton et poursuivit en chantonnant :

— Moi, s'il revenait, je serais content, content.

Elle lui ébouriffa les cheveux et l'attira contre elle.

— Ça va, mon chéri, dit-elle. Ta maman est avec toi.

— Oui, maman.

Ils resserrèrent l'étreinte et Martine ferma les yeux pour un court voyage dans l'imaginaire : certaines pensées ne peuvent souffrir d'être transformées en paroles ; elles doivent rester enfouies dans les replis de l'âme.

S'il réapparaissait dans sa vie, elle lui pardonnerait tout. Elle ne lui poserait aucune question. Elle n'essaierait même pas de le retenir pour toujours. Non, elle se contenterait du minimum : juste vivre le bonheur immédiat, encore une fois. Elle reverrait entièrement sa copie et se transformerait en une autre Martine. Elle n'irait pas jusqu'à adopter les idées archaïques de sa grande sœur, mais elle ne serait plus la même.

Cependant, elle savait qu'il s'agissait là d'utopiques pensées, sinon de folles divagations. Qui songerait à regarder en arrière alors qu'il nage dans le bonheur ? Qui, dans de telles conditions, se soucierait de la douleur des autres ?

Il faudrait un revers pour le ramener à l'humilité, lui faire chercher refuge et réconfort auprès de ceux-là mêmes qu'il avait fait atrocement souffrir.

Elle arrêta net cette réflexion : elle lui était insupportable. Malgré les puissantes houles de haine qui la submergeaient par moments, elle n'arrivait toujours pas à en vouloir à son bien-aimé au point de lui souhaiter malheur ; ou alors, ce devrait être une petite épreuve, la seule concession qu'elle ferait à Denise, et encore ! Avec beaucoup de répugnance, elle essaya d'imaginer un léger coup dur, bien maîtrisable, qui ne le ferait pas souffrir. Mais pourquoi battrait-il en retraite vers d'anciennes amours s'il ne souffrait ni dans son corps ni dans sa tête ? Mon Dieu !… Elle tournait en rond.

Alex la fit sortir de sa vie imaginaire en disant :

— Maman ! Je suis prêt.

— Ah ! oui, l'histoire. Laquelle veux-tu entendre ce soir ? La chevauchée des voltigeurs de feu ou la Légende du livre magique de Nangommier ?

— La légende ! la légende !

— Il était une fois, dans une île des Caraïbes, un sorcier qui s'appelait Nangommier. Il avait un tel pouvoir de divination que, assis au fond de sa case, les yeux fermés, il « voyait » à l'extérieur et loin. Il distinguait, parmi tous les gens qui marchaient dans la savane, ceux qui avaient l'intention de venir le consulter. Il les découvrait, alors même qu'ils étaient à des kilomètres de son village ; à tel point que, parfois, il envoyait un cavalier à leur rencontre. Il connaissait à l'avance les questions qu'on allait lui poser ; et les réponses, bien sûr.

Alex émit un bâillement. Il s'assoupissait déjà.

 

58. La vie orfilienne

De retour à Orfil, Soloman se sentait en pleine forme. Il avait repris le train-train quotidien dans un environnement familier, répartissant son temps entre son travail, ses collègues de bureau et son appartement situé près de Turtle Park, dans un quartier calme, coquet et vivant à la fois.

[...]

 

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